SIP: En quoi cette série de photographies est la continuation de la précédente, Mental Meteorites?
CP: J’ai voulu travailler dans un format d’installation. Pour les deux expositions précédentes les images étaient uniques, plus grandes et encadrées. Ici ce sont de plus petits formats qui se superposent. J’ai voulu travailler sur la répétition comme expression du mouvement et expérimenter sur le papier comme matière.
Les images qui se répètent ne sont pas identiques…
Ce sont des fausses répétitions, j’utilise une même image de base mais les prises de vue sont différentes.
Celles que tu appelles «images de base» s’inspirent de la nature ou de l’histoire de l’art ?
Ce sont des photos argentiques qui proviennent de mes archives personnelles. Je travaille avec des images prises aux différents moments de ma vie. Je ne les ai pas fait dans le but de les utiliser pour cette série. D’habitude je photographie des détails de peintures et de la nature. Ces photos dévoilent mes intérêts. C’est un travail autoréférentiel de caractère abstrait.
Mais quand tu choisis comme détail le pied du Printemps de Botticelli tu utilises une icône qui appartient à la mémoire collective…
Je cherche cette charge iconique, que les gens puissent reconnaître l’image qui est à la base. J’utilise souvent les images, les postures qui ont déjà une charge sociale, historique, sur les quelles chacun peux ajouter une couche de vécu personnel. J’ai auparavant fait des mises en scène photographiques à partir des icônes de l’histoire de l’art. Ici, en prenant des petits fragments de cette image de Botticelli, il y a mon choix, mon regard.
Comment tu manipules après l’image de base, cette première prise de vue ?
Je fais des tirages de ces images analogiques et je verse des pigments dessus. C’est une tentative de retour à la matérialité de l’image, et une référence au pictural. Je cherche un geste naturel ou spontané, sans prévoir le résultat. Chaque pigment a ses caractéristiques naturelles propres, sa façon d’être. Je les dispose en les travaillant avec très peu d’outils, deux pinceaux et une petite cuillère, pour qu’ils se placent de façon assez brute. Je ne veux pas un travail minutieux, je ne cherche pas la préciosité, mais la spontanéité du geste. Le pigment cache des parties du support, parfois une grande partie, parfois des plus petites zones disséminées. Je photographie en numérique les dispositions de pigment sur l’image imprimée. Puis encore, en les installant au mur, les photographies se superposent. Cette façon d’accrocher me permet de jouer avec ce qui est caché, ce que l’on ne voit pas. Elle fait penser aux fenêtres d’un écran d’ordinateur qui se cachent les unes derrière les autres. Ça fonctionne comme des couches, des layers, en construisant des images avec de fragments d’images superposées. C’est un travail par couches pour accentuer l’idée de répétition. Dans cette installation je cherche aussi à travailler avec la matérialité du papier, les plis, le mouvement naturel.
Il y a la volonté de ne pas oublier la matérialité de l’image. Le pigment renvoie aux matériaux de la peinture, tu renforces l’idée de la matérialité de l’impression photographique en la faisant devenir support du pigment. Tu imprimes à nouveau ces prises de vue qui passent à la verticalité du mur. En plus tu les caches les unes avec les autres. C’est une manipulation que tu pourrais continuer à l infini. D’où vient cette envie?
C’est en rapport au médium photographique, qui est censé montrer, exposer les choses. Je pense que parfois on a besoin aussi de cacher. Mon travail parle beaucoup de l’histoire de la peinture, mais aussi de l’histoire de la photographie et les façons de regarder. Cette série marque un avant et un après dans mon parcours, je cherche quelque chose de plus abstrait,
une certaine simplicité.
Mais il y a une certaine planéité des images, comme si tu voulais t’approcher d une surface, presque un pattern. Il n’y a pas de perspective ou d’horizon.
C’est un micro regard. Ce sont des fragments de nature. Les trois images qui réfèrent à la peinture sont de tout petits détails de grandes toiles.
Toutes ces photos de départ semblent être sur un support analogique ?
Je voyage avec un petit Rolleiflex de 35mm. J’utilise le grain des images analogiques même si après elles sont photographiées en numérique. La prise de vue finale est numérique mais il reste quelque chose de l’argentique. Je retrace une histoire de l’image.
Maintenant que tu as établi ce procédé de travail, les images que tu fais en archive personnelle, les fais tu en fonction de leur utilisation future en tant que support?
Je ne sais pas encore si je vais continuer avec cette série. D’habitude je réfléchis à l’avance sur les images que je veux créer. Mais dans Mental Meteorites j’ai voulu travailler une perte de contrôle. Pour ce faire, j’ai voulu me concentrer dans un processus de travail, établir une méthode définie. Pour l’installation j’ai voulu faire quelque chose de méthodique. J’ai fait des choix et je me suis astreinte aux règles de jeu que je me suis fixées.
Le travail sur le geste a été très important, puisque j’ai cherché qu’il soit spontané et immédiat, avoir le plaisir de la manipulation des pigments au moment de la prise de vue. Ce processus de travail je n’ai pas établi à l’avance, il a surgi au fur et à mesure de cette manipulation et cette recherche. Puis il a servi à me donner quelques règles, qui peuvent s’étendre aux prochaines séries.
Voici les photos de l’exposition Assemblage #9: http://spaceinprogress.com/works/assemblage-9-apres-fragments/