SIP

Comment s’intègrent les peintures présentes dans Assemblage#4 dans l’ensemble de ta production?

DB

C’est une partie de mon travail où le dessin et le mouvement deviennent très importants. Ce sont des séries que j’ai commencé à la fin des années 90 qui étaient basés sur une sorte d’écriture automatique. Les premiers dessins je les ai appelés «météo intérieure». C’est un travail qui est fait sans croquis préparatoire qui se base sur le mouvement du trait.

SIP

Mais on dirait qu’il y a une même image de départ, une base commune, il y a une même disposition dans l espace…

DB

Ce n’était pas volontaire au départ. C’est une image qui est montée d’elle même, un paysage avec de l’eau en bas, de la végétation en haut, des rivages et des rochers.

SIP

Tu n avais donc pas une photo préalable comme dans d’autres œuvres, où tu dessines par dessus…

DB

C’est venu dans l’autre sens. J’ai d’abord dessiné et après, en me promenant dans la nature, je voyait les choses qui ressemblaient aux dessins et je les prenais en photo, c’est l’origine de cette autre partie de mon travail qui est photographique.

Ce travail du trait, cette danse du pinceaux, qui fait référence à la nature et à la pulsion de vie que l’eau donne à la végétation, je l’ai appelé «la danse nuptiale du moustique», parce qu’il y avait dans le geste cette sorte de parade nuptiale d’un moustique pour séduire sa partenaire.

SIP

Et le titre de la première série, «bulletin météo intérieure»?

DB

J’ai comme référence la peinture chinoise où le paysage est un prétexte pour parler de son état émotionnel intérieur à travers l’échelle des éléments dans la nature, de leur distance, de la place de l’homme. C’était une façon d’élaborer un bulletin météo personnel émotionnel.

SIP

Et cette météo est censée changer à chaque fois, être chaque jour différente…

DB

Elle est changeante comme le ciel, elle n’est jamais semblable.

SIP

C’est une espèce de registre de toi même que tu cherches à faire à travers ce relevé météo et ses états différents? Ou c’est pour parler du temps qui s’écoule?

DB

Au départ c’était un besoin, parfois on ne sait pas bien soi même comment on se sent…une façon pour moi de me situer, de savoir où j’en étais, dans quelle couleur, quelle densité, quel mouvement.

SIP

C’est pareil pour les plus petits dessins ?

DB

Le principe est le même mais il y a une dimension corporelle dans les grands, il y a une implication physique qui est différente. Je travaille en plusieurs temps, je fais les parties plus diluées à plat au sol, je suis complètement immergé dans le dessin. Ensuite je fixe le dessin au mur, et je rentre dans une confrontation, comme une mise en miroir avec moi même, et je reviens avec du dessin, d’une façon plus incisive.

SIP

Ce deuxième registre correspond au trait qui vient broder par dessus les formes peintes …

DB

C’est une technique commune aux deux formats, mais dans les plus grands leur dimension elle fait qu’on puisse rentrer dedans, tandis que les autres sont comme des miniatures.

SIP

Il se sont écoulées pas mal d’années depuis le début de cette série, comment elle a évoluée jusqu’au présent?

DB

Je mène de front ce travail en peinture et le travail photographique, ou numérique. L’un renvoie sur l’autre. Les pièces les plus récentes sont plus denses, tandis qu’au début il y avait plus de blanc. Vous avez choisi deux pièces assez épurées, où il y a plus d’espace vide.

SIP

Les titres que tu donnes m’aident a me repérer dans ce long parcours temporel, même si c’est un continum il y a des jalons, des étapes…

DB 

Je donne des titres aux séries et pas aux pièces. Les deux dessins appartiennent à une série qui s’appelle «La nuit d’étang», il y a toujours le bord de l’eau, de l’eau douce plutôt, et ces endroits riches en vie organique. Après il y a eu «Les seuils», composée de pièces photographiques.

SIP

Tu réfléchis au paysage comme une entité vivante ou encore comme comportant des entités vivantes.

Cette idée est un moteur pour toi? Ou ton moteur est plutôt une attitude à avoir face à une nature que tu veux révéler a travers le dessin ?

DB

J’ai commencé à peindre après un voyage au Mexique aux années 80. J’ai été très impressionné par la forêt primaire et très marqué par les arts précolombiens et la sculpture maya. De là me vient cette histoire d’esprits de la nature, le dieu maïs, de la pluie, etc. Je puise des références dans les arts premiers, soit d’Amérique du sud, de l’Afrique, d’Indonésie, et dans le rapport à la nature de ces cultures…

SIP

Mais ce sont des références que tu portes en toi, pas de références formelles…

DB 

Ce voyage et le rapport de ces cultures à la nature on été mon point de départ. Depuis une dizaine d’années j’ai un atelier dans le Sud-Ouest de la France, près de la Garonne et j’ai retrouvé sur place dans mes promenades quotidiennes, accompagné de mon chien, ce rapport à la nature qui n’est pas présent dans la culture locale, qui n’est pas non plus celui de la peinture romantique allemande, mais qui est un rapport d’énergie régénératrice.

SIP

Donc, tu trouves une posture de perception par rapport a cet environnement, et il y a un deuxième temps, quand tu dessines, où tu essayes une transcription de cet état perceptif ?

DB 

Oui, c’est une transcription, j essaye de donner à voir ce que je ressens en étant proche des éléments.

SIP

Donc, ce ne sont pas de références qui se trouvent directement dans ton travail, mais qui génèrent ta posture perceptive…

DB

Effectivement, elles sont intégrées dans ma perception sensorielle des environnements naturels, c’est devenu une partie de moi. C’est encore plus évident quand je fais de photos, quand je prend une pierre, une souche, une racine d’arbre ou un reflet dans l’eau où je vois manifestement une présence, un sentinelle, un gardien.

SIP

Tu travailles aussi à composer des pairs, des doubles, entre cette vision qui démarre dans la photographie et tes dessins qui ont comme point de départ cette perception plus directe…

DB

Quand je juxtapose des médiums différents comme le dessin numérique, la peinture et la photo je cherche à brouiller un peu la spécificité de chaque médium, pour que ce soit le contenu qui ressorte, qui vibre. Dans ces doubles présentations ce n’est plus la spécificité de la photo, du dessin, ce que je veux donner à voir, mais ce qui transparait dans la vision quand on se met dans une certaine posture perceptive et qu’on regarde le monde un peu au delà de la vision optique, en laissant rentrer en soi ce qui il y a de puissant dans la nature. Et en même temps, quand on laisse la partie puissante en soi rentrer en relation avec cette partie vibrante de la nature.

SIP

Qu’est-ce que tu prépares en ce moment?

DB

Je prépare une exposition intitulée «Secret stories» avec une artiste qui s’appelle Laure Neumann. Ce troisième projet en duo, aura lieu dans l’ancienne prison désaffectée de la ville de La Réole, en Gironde. Notre proposition occupera une quinzaine de cellules et donnera forme à l’intériorité dans une sorte de topographie de l’intime. L’exposition sera ouverte pendant deux mois à l’été 2017.

Voici les photos de l’ expo Assemblage #4: http://spaceinprogress.com/works/assemblage-4-anime-animal-anima/