SIP : Les trois pièces présentées à Indélébile ont des supports différents. Comment les avez-vous choisis ?
M.I.L. : Je m’intéresse à l’inclusion de la peinture dans l’objet comme un ajout dans sa qualité décorative. Je joue avec cette idée. J’ai une formation de scénographe qui m’a amenée à travailler souvent sur des supports souples de la famille des textiles. La peinture se «sur-imprime» sur les objets et crée une sorte d’hybridation. Ce n’est pas un travail sur le support de la peinture. C’est la peinture qui vient s’incruster dans les objets. Je la compare à quelqu’un qui vient à une fête sans y être invité.
Les titres nous laissent entrevoir une contestation, une militance écologique…
Off-shore, Ecouter le son de la prospection sismique, ou encore Fracking … (le terme anglais pour fracturation hydraulique) font référence à l’exploitation du sous-sol notamment celle des hydrocarbures dans ses différents aspects. Je porte, depuis quelques temps, mon attention sur l’énergie extraite du pétrole comme nœud politique et économique. La préservation des ressources d’un territoire dans une perspective économique et écologique est un des axes de la contestation anticapitaliste.
Je me suis toujours intéressée à la visualisation de l’énergie dans divers systèmes d’images. Je pense aux mangas, aux diagrammes de la médecine orientale ou de la cosmogonie, mais aussi aux schémas scientifiques qui décrivent des phénomènes non visibles à l’œil nu.
Je me sers de ces codes préétablis. Ils constituent un langage banal que le spectateur a déjà intégré. Cependant, je les inclus dans des propositions différentes de celles qui nous sont habituelles. Quand on les superpose à des représentations plus littérales, comme des paysages, il se produit alors de nouvelles associations.
Tu te sers d’objets ou formats existants, qui ont une fonction préalable, comme un siège, ou un rideau.
Ce sont des hybrides. Ce qui couvre le siège dans Fracking pourrait être un édredon ou un coussinet porteur d’une relique, à mi chemin entre le monarchique et le religieux. Le fait qu’il soit posé par dessus le siège invalide sa fonction. La fissure qui est peinte produit un sentiment inquiétant face à la possibilité de s’y asseoir.
Le côté contestataire de ces pièces s’exprime à travers cette contradiction entre la fonction supposée et ce que l’objet véhicule au-delà de son aspect aimable.
Et par rapport aux rideaux ?
C’est un des formats récurrents de mon travail. Je m’y intéresse par deux aspects: d’abord en lien à l’idée du tableau comme fenêtre (à partir du traité d’Alberti De pictura), comme l’inversion d’un dispositif qui est censé occulter la vue et qui pourtant accueille l’image qu’il devrait cacher.
D’un autre côté, ces rideaux peints sont comme des rideaux de scène. Devant ces objets, pourrait se dérouler un drame qui dans ce cas, est absent. Cette scène manquante a l’aspect d’une catastrophe. Les rideaux ont un pouvoir annonciateur de cette scène qui devrait se produire mais qui manque à la vue. Elle est seulement évoquée à partir de son décor.
Voici les photos de l’expo Assemblage #5: http://spaceinprogress.com/works/assemblage-5-indelebile/