Mondes ouverts est un projet élaboré en collaboration avec l’ENSA de Limoges, avec la complicité de Nicolas Tourre.
Les diplômants ont été convoqués à réfléchir autour de la notion de level-design. Ce terme, utilisé dans la création des jeux vidéo, se réfère tant à la création des différents environnements qui feront évoluer le joueur («niveaux», ou encore «cartes») qu’à la notion de défi et de jouabilité qui se présente à lui par les objets du décor.
Les propositions des artistes fonctionnent comme des éléments caractéristiques de ces niveaux, des pièces clés, pouvant jouer avec l’énigme, ou être des objets déclencheurs qui induisent l’interaction et créent des passages vers de nouvelles expériences.
L’espace de Julio, à la manière d’un jeu dans un monde ouvert, se transforme en un parcours jonché de jalons de sens.
Les bulles de mondes dont Soy puise son inspiration concernent l’astronomie, la science-fiction, l’ésotérisme, les jeux vidéo. Elles deviennent matières à créer tant dans leurs codes que dans leur façon de négocier un accès à l’imaginaire d’un monde étranger. Dans certains jeux vidéo, poser une « ward » permet de mettre de la vision dans le brouillard de guerre pour un meilleur contrôle du terrain. La pièce «Ward0.1» reprend ce principe dans l’espace d’exposition. «Slimy polypores» rend un caractère étrange aux champignons que l’on trouve sur le tronc des arbres, les transformant dans un élément susceptible d’être une clé pour la suite de l’aventure.
Jeanne Andrieu s’inspire de formes naturelles afin d’interroger sur ce qui disparaît, ce qui reste, ce que l’on tente de reconstituer ou encore ce qui peut exister dans une autre réalité. «Blade’s edge flower», trouve son nom en référence aux canyons des Tranchantes, zone dans World of Warcraft. Un fossile, peut-être rapporté d’une autre planète. Un végétal jadis vivant, ou sur le point de renaître, et figé à présent dans une posture rappelant celle des coraux.
Le jeu « Dream day », de Keshu Yan, propose une petite histoire avant le sommeil, un chemin menant au rêve qui traverse les endroits où dérivent nos pensées quand on ferme les yeux: un coin de la chambre, une lumière, les vagues de la mer … vous pourrez choisir différents chemins en cliquant sur les flèches pour découvrir ce rêve éveillé.
Le travail de Bastien Miquel, d’habitude autour des lieux de loisir, prend ici un point de départ dans l’idée des «spawns», lieux précis dans le jeu vidéo où se produit l’apparition du joueur et autres entités, pour proposer un début d’aventure dans un nouveau monde fantastique. Il place le spectateur en confrontation directe avec cet espace fictionnel, il peut ainsi décider d’entamer ce voyage initiatique, et sortir des labyrinthes sans tomber dans les pièges.
Le rideau de Morgane Vedrenne est un élément féerique qui cache une énigme. Il crée un espace intime, presque sacré, où celle-ci pourra être approchée, une fois le rideau traversé. Ce qui est finalement dévoilé évoque le récit poétique de Monique Wittig, Les Guérillères.
Bulle Dupont, après s’être intéressée aux Ménades, conçoit un contenant-arme portant une plante toxique qu’elle suggère à tous les agresseurs de lécher. Élément emblématique qui ouvre des portes dans le monde du «game», la plante est ici l’instrument qui lui permet d’imaginer, (ou de pleurer, en reprenant La théorie de la Fiction-Panier d’Ursula K Le Guin,) un monde où l’histoire serait portée par le panier et non par l’épée.
«Code G», de Jean-Marc Montels, nous place dans un futur imaginaire où les insectes auraient disparu. Le cri du grillon est codé et crée par l’interaction du spectateur. «Curieuse vanité» est une micro machine qui, à intervalle régulier, souffle sur une bougie sans jamais l’éteindre, une «vanitas» transposée dans un espace réel. Les deux pièces font basculer dans le vivant un monde numérisé.
L’installation de Simon Prud’homme donne à entendre une traversée à vélo vers le quartier Beaubreuil de Limoges. La voix parlée se transforme peu à peu en une voix chantée. Comme une corde, comme une flèche qui juxtapose de micro-détails, se compose un paysage sonore, une version de l’Iliade et l’Odyssée dans un rythme syncopé.
La déambulation dans un paysage, cette fois-ci la Dordogne, est aussi un point de départ pour Léa Brüzek. «Sous ses rayons cannaculaires» est une série de photographies imprimées en sérigraphie sur des feuilles de Canna séchées. Ces fragments d’espaces dont la réalité est ambiguë deviennent alors un point de départ propice à la projection du visiteur. Ils troublent la réalité du lieu originel pour la faire évoluer vers un espace mystérieux à la limite du surnaturel.
«Le sol est un palimpseste», de Marie Lafaille est une performance avec des pièces activables conçues comme des outils d’explorations conteurs de mémoires. Que reste-t-il de l’expérience ? Rapportée, l’expérience devient fiction, une frontière se dessine entre présent et passé. Ses sculptures de grès deviennent l’interface pour traverser cette frontière et remonter le temps, nous propulsant dans le souvenir.
La pièce de Yann Leclere , une photographie posée sur une plaque de marbre, enduite de poussière de cendres, rouille et charbon, essaye de poser des mots sur une quête métaphysique. Comment envisager la vie lorsque les principaux sujets qui la composent se situent au-delà du perceptible ? L’objet présenté devient, par sa matérialité, une clé pour commencer à ouvrir la porte de ce monde invisible.
Mai 2022