Assemblage #10
Engager le corps
Les artistes d’Assemblage#10 s’engagent dans l’idée d’un corps qui accepte de faire de soi-même un sujet d’expérience, dans toute sa diversité. Ils peuvent faire du corps le canal d’intégration et le dénominateur commun d’une somme d’attitudes militantes par rapport à des thèmes de société comme le pouvoir ou le genre, en décloisonnant les pratiques afin de constituer une démarche artistique pluridisciplinaire. Ils peuvent se référer à des fragments du corps reconnus comme symboles de la féminité pour les faire apparaître comme des espèces ambigües du vivant. Ou encore, dans une pratique performative, ils choisissent de mettre en scène le corps dans la nature en le faisant jouer comme un élément éclaireur de la place de l’humain, pour ainsi dévoiler des liens que le monde actuel ne veux pas reconnaître.
Syd Krochmalny s’interroge sur des thèmes de société, de politique et de sexualité. Il amène à son travail des éléments pris en dehors du champ artistique pour produire des œuvres hybrides qui méritent d’être interrogées de façon interdisciplinaire. Elles se déclinent en peintures, textes de chansons, essais philosophiques, critiques d’art ou performances dans un exercice conceptuel de création de contenus.
The Language Of The Stones se compose d’un album de douze morceaux fait en collaboration avec Santos Dumont et de peintures qui font écho aux paroles des chansons. Dans la première chanson, Absolut, on entend :
I am a body now / That could have not been / Except for my eyes / Each point of fossilized light 
I am blue water / Like the skylight / In this land / Where everything born dies / 
May I speak the language of the stones / When I walk in the village of your synapses?Â
Prenant comme hypothèse du début de la vie terrestre le choc d’un astéroïde transportant avec lui les acides aminés, Syd évoque l’existence d’un langage appartenant aux pierres qui exprimerait les formes du vivant. Les humains ne seraient pas les seuls êtres de langage. La temporalité des pierres donne au langage, propre à l’homme, un sens cosmique. A partir de cette théorie de la création des corps, Syd réfléchit à un concept de l’être qui dépasse la dichotomie élémentaire de la vie et de la mort.
Ghislaine Portalis transforme des objets intimement liés au corps en trophées ou en caprices de la nature. Parfois, elle effectue le procédé opposé: des formes naturelles deviennent, par son regard, des représentations des parties intimes féminines dans une érotisation de l’objet. Elle utilise des matériaux manufacturés. Pour Coiffes, elle prend comme point de départ des éléments liés au corps, qui épousent la forme de la tête : des chapeaux de femme qu’elle a piqués d’une multitude d’épingles en acier de couturière. Cette pilosité hérissée se place de l’extérieur vers l’intérieur. Le spectateur reste devant l’interdiction de toucher, mais les pointes deviennent soyeuses et souples à la vue, évoquant la fourrure de quelque animal sauvage. Dans les dessins l’objet est repris volontairement sur-dimensionné, et s’éloigne du lien au corps originel pour se définir comme un élément étrange du règne du vivant.
Bianca Lee Vasquez se définit comme earth-body artist. Elle explore les liens entre la terre, le corps, le féminin et l’inconscient au travers de performances sans spectateur, proches du rituel. La vidéo Ela da floresta présente cinq performances réalisées en forêt d’Amazonie brésilienne dans le cadre d’une résidence au Labverde dans la réserve Adolpho Ducke. Bianca veut renouer avec l’esprit féminin de la terre, nommé «la déesse» par les cultures anciennes, et éveiller la force potentielle issue de l’union avec les puissants archétypes féminins. Elle traite son corps comme un élément de plus parmi ceux qui composent la nature. La primauté du corps humain sur les autres êtres vivants est remise en question. En le déshabillant, elle renoue avec son essence mythologique.
Comme écrit Paul Ardenne «le corps est moins que jamais une figure neutre. Un espace de conflits plutôt, trouble décalqué de l’instabilité de la condition humaine».
Space in Progress, février 2018