Assemblage #9
Après fragments
Le fragment est la partie d’un tout dont l’essentiel a disparu. L’intérêt pour le fragment témoigne autant de la perte de l’idée unificatrice que de l’espoir d’un prolongement par une nouvelle méthode de composition. Leur isolement témoigne de la destruction de la matrice mais par leur recomposition, les fragments différents créent une nouvelle entité. Pour Roland Barthes, qui s’est livré à cet exercice dans Fragments d’un discours amoureux, l’acte de découper et d’agencer des fragments de sens, permet d’explorer l’imaginaire et le rendre intelligible.
Les trois artistes d’Assemblage #9 ont eu recours à ses traces physiques ou mentales sous forme d’archives pour en extraire des éléments à recomposer.
Les références filmiques et sonores chez Ange Leccia, les photographiques de Constanza Piaggio ou les dessins et références à l’histoire de l’art et l’architecture d’Olivier Passieux, forment des corpus de prélèvements incomplets du réel, des restes de mémoire collective. À partir de cette collection de regards parcellaires, ils expérimentent l’espace du jeu par l’agencement ou le montage. Les combinaisons se font au grès d’intuitions intimes en vue de générer de nouveaux espaces poétiques. L’œuvre assume son instabilité, autorise un possible inachèvement.
Cette logique de déconstruction/réagencement questionne la nature de leurs médiums respectifs.
Constanza Piaggio se livre à une manipulation élaborée sur des images de sa collection personnelle. Par le cadrage et le montage des images pré existantes, en choisissant quelle partie est donnée à voir, elle fragmente le champ du visible. Elle saupoudre de pigments colorés des clichés en argentique avant de rephotographier l’intégralité en numérique. Ces nouvelles images imprimées sur un format lambda sont installées au mur avec un jeu de superpositions et pliages qui enlèvent à chaque image son unicité pour lui faire endosser un rôle dans un nouvel ensemble signifiant.
Olivier Passieux évoque la tentation d’une forme comme formulation d’une pulsion nécessaire – éros et libido agençant les fragments. Il compose à partir de ses dessins des équilibres improvisés qui laissent transpirer repentirs, palimpsestes, lignes et erratum à la surface de la toile. À l’instar des associations mentales, il compose une réalité à partir d’une multiplicité organisée. Le travail se concentre sur les équilibres, la composition, la tension du geste, la couleur. La peinture enregistre le processus créatif autant qu’elle donne à voir le résultat définitif. Cette matière questionne l’immédiateté du monde des images.
Ange Leccia a souvent utilisé comme matière de son travail des fragments du son ou de l’image cinématographique qui dévoilent un autre sens à travers la répétition. Le cinéma est le matériau même d’une partie de ses œuvres, dans lesquelles il isole et reproduit en boucle une séquence remarquable. Il travaille aussi avec les objets qui servent comme support à ce media, en se les réappropriant et les manipulant pour créer des nouvelles significations. Il présente deux tirages photographiques d’après des pochettes de disque lui appartenant, qui sont la bande sonore de deux films : Les liaisons dangereuses (Roger Vadim, 1959) et Galia (Georges Lautner, 1966). Avec ce ready-made d’un objet sonore qui se présente ici en image et en texte, il ouvre des nouveaux sens sur des objets connus.
Les œuvres ici présentées regroupent des éléments qui proviennent d’une totalité absente en jouant avec les notions d’hétérogénéité et d’homogénéité entre la partie et le nouvel ensemble, pour composer un discours poétique qui se veut parfois amoureux.
Space in Progress, novembre 2017