Il s’agit de retirer une partie pour mieux voir, ôter pour révéler ce qui était déjà dans l’objet, dans l’image, mais que dans son articulation avec l’ensemble restait caché. Inversons le refrain et tentons « loin des yeux, près du cœur ».

Par cette oblitération s’opère un choix du regard, se propose une manière de voir et de faire voir, se détourne le sens primordial de l’objet. Ce qui manque, révèle, donne un nouveau sens et un nouveau statut, éloigne la banalité. En imaginant des dispositifs et des protocoles qui opèrent cette invisibilité partielle, Farah Khelil, Xarli Zurell et Manon Harrois transforment notre compréhension des paysages et de la présence du corps dans l’espace, définissent un regard à partir de ce qui n’est plus.

Farah Khelil, questionne le régime du visible comme unique moyen d’accès à la connaissance dans l’écriture de l’histoire, afin de proposer à la vue des formes alternatives. Cette question du visible place également dans son travail la notion du manque ainsi que celle de l’absence. Elle recompose des textes, des images et des objets dans des dispositifs scopiques qui en reconfigurent le sens.

Dans cette série récente Pan de mur,  elle procède par recouvrement de peintures achetées depuis 2012 chez les marchands de souvenir pour touristes à Sidi Bou Saïd à Tunis. Elle les a repeintes en blanc laissant en réserve des disques qui laissent apparaître des fragments de l’image. Comme une partition, ils recomposent le paysage source comme pour mieux l’ausculter, pour raconter ou décrire une autre histoire, une légende. Ce cache blanc se place comme un dispositif qui met en vue le paysage, en déjoue la perspective. La surface de peinture blanche rappelle les murs peints à la chaux de Sidi Bou Saïd, son village natal, qui deviennent ici l’élément principal en se substituant à la vue en perspective. Un dispositif similaire, comme une pellicule qui se place entre le regard et l’image, se met en marche dans Scopiques. Cette fois-ci c’est un dessin sur une feuille trouée qui morcelle le regard et recompose la perception de l’image en mouvement.

Xarli Zurell réfère souvent à la lumière du Pays Basque d’où il est originaire. A partir de photographies prises dans son entourage, personnages dans des parcs, objets abandonnés, motifs décoratifs glanés dans l’architecture, il enlève des éléments de l’image pour ne garder que ce qui lui semble primordial, détournant les sujets de leur univers et de leur essence initiale. Il en résulte des figures et des objets isolés et rapportés dans de nouveaux décors abstraits et iridescents. Il travaille selon un protocole établi qui inclut une interprétation des photographies à  travers le dessin aux feutres. Le dessin fonctionne comme un filtre, qui se traduit dans ses peintures par cette luminosité phosphorescente. Avec une volonté « d’abréger », par la pratique de l’omission, il explore l’écart possible entre le sujet photographique et la réalisation picturale. Ses sujets expriment toujours un manque, une détresse ou un détournement de leurs sens ultime. Leur expression, par contre, se veut légère, plongeant le regardeur dans une  réminiscence d’un temps révolu.

Dans le travail de Manon Harrois il  est question de fragments qui cherchent la valeur du tout, du dédoublement de l’objet par son enveloppe,  de l’empreinte toujours  réversible.  La poétique du désossement, les questions de  l’écorché ou du « membra disjecta » sont autant de sujets où se croisent et s’emmêlent le double, la trace, le périssable, la sensualité, le souvenir et le devenir. Elle travaille le vide qui a laissé un corps, un volume sculpté, un arbre vivant, pour reconstituer  dans  son  entièreté  le – ou les – corps absent(s). Elle a récemment travaillé à partir de moulages en latex d’arbres dans leur habitat naturel, au parc naturel Caniçal dans l’île de Madeira. Dans cette série No petting, thank you  elle a enlevé le quart  supérieur d’un tronc, en évoquant un siège. Souvent ses œuvres ont une notion ergonomique, une réminiscence du corps. Une couche de latex verte imprime un geste indélébile sur le cœur du bois. Une empreinte surgit par la coloration de la sève encore présente dans le tronc. Le reste de cette action, la peau enlevée, constitue une masse agglutinée de couleur verte, ensuite photographiée.

Nota : Le Solarscope est un dispositif d’observation du Soleil. Pour cela il projette l’image du soleil sur un écran à l’intérieur d’une boite. En enlevant la lumière directe que l’étoile irradie, il est possible d’observer le disque solaire à travers son image.