Les sirènes, d’abord créatures ailées, ont emporté avec elles dans les profondeurs la mémoire du ciel.
Le danger de leurs chants repose dans leur puissance évocatrice, qui plonge dans le piège de l’oubli ceux qui se plient à leur fascination.
Pour survivre à ce chant il faut avoir un projet de voyage et pouvoir diviser le soi entre écoute et action. La pratique artistique utilise souvent cette double attention, et fait acte de mémoire dans le passage de l’une à l’autre.
Pour Marina De Caro, le dessin est ce voyage qui conduit à une idée jusqu’alors absente et invisible. Un instrument de connaissance, de compréhension et de subversion de la réalité, un espace de réflexion et d’écriture de gestes d’engagement, un langage contemporain et de tous les temps qui opère à partir de sa mémoire propre.
Dans le dessin, regarder c’est écrire avec une grammaire particulièrement large et un répertoire de possibilités illimitées. Comment l’accident, la perte de contrôle et les propriétés proposées par le dessin influencent-ils notre réflexion? Quelles est la cire et la corde qui permettent d’écouter le chant des sirènes sans abandonner le voyage?
Marina De Caro étend le champ de sa pratique à des actions performatives qui bousculent la perception. Elle propose un engagement militant où les couleurs deviennent devises de luttes (Cromoactivismo). La vidéo ici présente, fait partie d’un « videothéâtre musical », Gilda Depre y sus ánimos, réalisée sur les interprétations de la chanteuse- performeuse Daiana Rose pendant le confinement. Les couleurs sont animées comme des entités à part entière, qui bousculent nos perceptions afin de «pouvoir perdre la gravité de la loi qui nous empêche de nous envoler».
Les sculptures en plâtre de Vanessa Fanuele sont une sorte d’archéologie qui révèle des ossatures d’espaces, des formes archaïques et organiques. Ce sont des dessins devenus volumes, ou des volumes en devenir de dessins, à partir desquels la couleur aurait glissée, fondu au sol, dévoilant ces armatures lavées par le passage du temps.
Cette ossature peut être oscillante, comme dans Ellipse, qui accueille une nature «de fortune» sur la terre qui chavire. L’architecture filaire de Poutres de cèdres propose une interprétation de l’Arche ou une vision futuriste, suivant l’analogie de la « tour penchée » et son caractère apocalyptique malgré la candeur du matériau. L’os d’après pose la question de l’os comme fondation. Ces éléments presque corporels rassemblés et noués suggèrent les réflexions, les vibrations, les sons qui se répercutent d’un espace à l’autre, d’un temps à l’autre, d’une histoire à l’autre, dans la construction de passerelles entre les mémoires multiples.
Juliette Dominati développe son travail dans le champ des superpositions entre réalité et fiction, suivant une esthétique de collage et de montage. Les frontières entre la peinture et la sculpture ne sont pas pour elle une évidence. Elle aborde la peinture autant comme une matière que comme une couleur, dans une multiplicité de techniques et de matériaux, pensant surtout à leurs qualités de masse, de densité, de fluidité, dans une volonté de saboter un ordre hiérarchique entre les médiums.
Elle travaille des environnements sensibles où les objets qui les composent changent de destin par son intervention, par leur placement dans un espace donné. Ce destin est fluctuant, certaines pièces pourraient devenir des œuvres domestiques, d’autres pourraient revenir à ce qu’elles étaient, des rebuts, mais gardant la trace de cette expérience transformatrice.
Maurice Blanchot écrit dans le Livre à venir :
« Les Sirènes: il semble bien qu’’elles chantaient, mais d’une manière qui ne satisfaisait pas, qui laissait seulement entendre dans quelle direction s’ouvraient les vraies sources et le vrai bonheur du chant. Toutefois, par leurs chants imparfaits qui n’étaient qu’’un chant encore à venir, elles conduisaient le navigateur vers cet espace où chanter commencerait vraiment ».