Tempus Fugit est le titre d’un double épisode emblématique de la série phare des années 90, X-Files, Aux frontières du réel . L’épisode démarre sur la mystérieuse disparition d’un avion de ligne. Il plonge Mulder, le soucoupiste convaincu et Scully, la sceptique dans une machination où comme toujours, la vérité est ailleurs.

Pour Julio, Tempus Fugit  prend la forme d’une exposition collective déplacée dans le temps. Annulée puis seulement reportée pour cause de pandémie mondiale, elle présente un scénario digne de l’emblématique série télévisée. Elle a dû s’extraire de la nappe de temps disparu, pour revenir au réel, réapparaître, se réincarner. Comme des centaines de millions de terriens, les artistes ont été confinés. Certains ont pu profiter de cet isolement pour créer. Les autres n’ont pas eu accès à leur atelier, leur matériel. La proposition initiale a donc été réinventée.

L’ exposition a pour origine une conversation autour de nos passions ufologiques, avec Fredi Casco. Dans sa série Lo que Brilla , l’artiste paraguayen a utilisé un ensemble d’ archives annotées en idéogrammes Varkulets, un mystérieux langage découvert dans des lettres au milieu des années 60. L’idée a surgi d’inviter des artistes qui dans leur imaginaire convoquent d’autres mondes, par le choix des thèmes ou au travers des procédés techniques. Cette exposition joue en décalage du format habituel des # Assemblages, présentant un plus grand nombre d’œuvres d’une sélection d’artistes de tous âges et de tous horizons.

Certaines pièces font directement référence au sujet extraterrestre. D’autres fonctionnent par analogie ou sont redéfinies contextuellement. Elles sont produites dans tous les médiums : la vidéo chez Sandro Berroy et Seunghyun Park qui présente un ensemble d’artefacts motorisés, le son dans la pièce de Julien Nédélec, Rencontres qui reprend des témoignages de rencontres de troisième type en s’approchant de la poésie minimaliste. Plusieurs volumes jonchent l’espace de Julio ARS, la météorite en bronze de David Renaud contraste avec le caractère aérien de la plante de Maria Ibanez Lago, inspirée du roman fantastique d’Aldiss Le monde vert. Sur leurs pattes d’acier, les êtres en porcelaine d’Anne Balthazard semblent engager une tentative de communication. J’ai collaboré avec Axel Bertone pour restaurer un fragment d’une civilisation lointaine et disparue dans une pièce intitulée Antinéa.

Le dessin, souvent représenté à Julio, est investi très différemment chez Anne Colomes dans l’hallucinant paysage Mandarin Pie and Full Moon et chez France Bizot qui détourne le livre de Robert Destez, Le cou tordu. Les collages de Julien Lagendorff convoquent les mystères de l’univers. « Sommes-nous seuls ? » est le problème existentiel posé par la photographie Cerro Uritorco de Constanza Piaggio, la montagne argentine célèbre en tant que lieu d’observation de phénomènes extraterrestres. Léo Berne dissémine dans l’espace d’exposition des tranches autobiographiques de vie humaine, petits tirages issus de sa série For the Aliens. Si la plupart des pièces ont une dimension narrative, plus ou moins explicite, les peintures de Fredéric Prat privilégient l’apparition de signes et nous confrontent à notre perception des événements. Le phénomène opère également dans Charade, la pièce de Jérôme Alavena  composée comme une énigme qui se révèle par strates et de manière parcimonieuse.

L’anthropologue Pierre Lagrange émet l’hypothèse que nous sommes peut-être déjà en contact avec d’autres formes de vies que nous ne pouvons appréhender. Elles seraient si étranges qu’elles seraient inaccessibles à notre intellect. Il ouvre ainsi un champs de réflexion métaphysique et réjouissant que les artistes de l’exposition ont pu s’approprier. Par la diversité de leurs  propositions, l’espace condensé de Julio agit comme un serveur vers des univers autres, vers des possibles à réinventer. Les œuvres des artistes, qu’elles soient savantes, picturales, décalées ou humoristiques, sont autant d’opportunités d’un nouvel enchantement du monde.

Romain Sein