SIP
Les «miniatures» que tu présentes à Assemblage#4 représentent une nouveauté dans ton travail ?
BT
Ce n’est pas nouveau, j’en fait toujours et depuis très longtemps. Déjà pour ma première expo, en 1988 en Argentine, j’ai présenté des miniatures. C‘était pendant mes études, l’année préalable à mon départ vers la France. Je devais faire de l’échantillonnage d’émaux et des engobes, et au lieu de les faire sur une petite tuile plate comme on fait d habitude j’avais trouve plus intéressant de les faire sur une petite pièce, pour voir comment l’émail fonctionne. C’était plus sympa de les faire comme ça, cela me faisait plus envie que les tuiles qu’on finit par ranger dans des boites.
SIP
Ils avaient des formes organiques?
BT
C’étaient des petits pots, des miniatures de vases qui rentraient dans le creux de la main, d’une forme d’œuf. Ils avaient des becs, des anses, des petits bouchons en liège, ils étaient clairement des contenants.
SIP
En référence aux formes organiques que tu fais maintenant on peux aussi concevoir l’organisme comme un contenant…
B
Mais maintenant ce sont des petites sculptures, des formes fermées. Tandis que les précédents étaient clairement des contenants, des petits vases avec des formes extraordinaires mais où on trouvait toujours un orifice.
SIP
Tu travailles la porcelaine et le grès, y a t’il des contraintes des matériaux qui te poussent à faire certaines formes plus que d’autres, comment est ton rapport avec ces contraintes?
B
C’est vrai que la matière s’impose, souvent j’utilise du grès et de la porcelaine teintées dans la masse, ce sont des pâtes plus raides, moins plastiques que les autres. L’aspect noir et mate est donné par un grès noir. La plupart des pièces sont teintées dans la masse, certaines sont émaillées. Il m’arrive d’émailler mais en général je pars déjà d’une matière qui a une couleur propre.
SIP
En regardant l’ensemble on voit un petit monde en miniature. C’est une reproduction à échelle réduite d’un monde qui existe quelque part en plus grand ou ce sont des microorganismes?
B
Je pense plutôt que ce sont des êtres encore plus petits, que nous sommes obligés d’agrandir pour les voir.
SIP
Donc tu fais un processus d’agrandissement, tu changes leur échelle en les agrandissant…
B
Je trouve passionnantes les photos d’agrandissements de cellules, des éléments biologiques. Le format miniature me permet de penser à ce monde infiniment petit. C’est plus le petit qui m’inspire et non le grand diminué.
SIP
Tu les as aussi nommé «objets de vitrines». Cela évoque pour moi ces objets précieux d’un collectionnisme domestique qu’on enferme dans des vitrines dans le salon des anciennes maisons. As tu un décalage un peu ironique par rapport a ce type d’objets ?
B
En cherchant sur internet «objets de vitrine» on est dirigé vers des lieux de ventes d’objets décoratifs non prestigieux, courants dans certaines maisons. La première fois que j’ai entendu nommer cette catégorie c’était à une conférence sur la Manufacture. Je n’avais pas l’impression d’avoir entendu auparavant cette dénomination, et je me suis dit : c’est exactement ça, des objets d’exposition, des sculptures, qui sont fait exprès pour siéger dans une vitrine.
SIP
Tu construis ce petit monde comme un ensemble ou tu génères chaque pièce suivant une expérimentation différente?
B
C’est plutôt une manipulation formelle. Je construit des éléments qui vont s’assembler et forcement il y aura entre eux des airs de famille.
SIP
C’est une famille qui appartiendrait à un milieu précis, sous-marin, végétal, ou microscopique ?
B
Je ne pense pas préalablement à leur interaction ou leur appartenance à un domaine plus animal ou végétal. Finalement elles trouvent toute seules sa famille.
SIP
Donc elles s’organisent en familles, comme si il y avait une classification du monde du vivant qui se fait à posteriori. Il y a un coté inquiétant à regarder un monde organique qu’on ne reconnait pas. Comment tu te places face à ce sentiment d’étrangeté ?
B
Je le cherche un peu. Il y a un sentiment d inquiétude dû au fait qu’elles ne sont pas très stables. Certaines tiennent péniblement sur trois pieds et donnent l’impression qu’elle risquent de tomber. Elles ont un coté déséquilibré qui m’intéresse beaucoup. Je pense que cela leur donne cet aspect vivant.
SIP
Ca leur donne la possibilité du mouvement.
B
Oui, elles ne bougent pas mais il y a quelque chose qui n’est pas tout a fait droit, qui n’est pas tout a fait stable, qui ne tient pas bien sur ses pieds.
SIP
L’inquiétude aussi de reconnaître quelque chose du vivant sans pouvoir l’assimiler à quoi que ce soit de connu, comme si c’étaient des organismes encore méconnus, qui se présentent à nos yeux d’une façon étrange.
B
Oui, quelque chose qu’on ne connait pas mais qu’on arrive un peu a reconnaître.
Voici les photos de l’ expo Assemblage #4: http://spaceinprogress.com/works/assemblage-4-anime-animal-anima/