Julio accompagne pour la troisième fois la Biennale de l’image tangible (1) en tant qu’espace partenaire. Pour cette édition 2023, nous présentons le travail de Julie Laporte et Shinji Nagabe. Tous deux se servent du medium photographique en explorant les limites des supports de l’image.
Shinji Nagabe est un artiste visuel brésilien d’ascendance japonaise, son travail est traversé par les défis de la migration, la quête d’identité et l’expression de la sexualité. À l’âge de 14 ans, il a déménagé au Japon en tant que «dekasegi» , terme qui désigne les descendants de Japonais établis au Brésil, ayant retourné travailler au Japon dans les années 90. Façonné par cette expérience, il se consacre à explorer les complexités de la construction de l’identité à partir des intersections culturelles, réfléchissant aux contradictions et aux défis auxquels est confrontée une société mondialisée. Les œuvres de la série Dioramas nous invitent à réfléchir à l’accumulation de références qui nous définissent en tant qu’individus uniques.
Nagabe travaille avec matériaux bon marché à partir de photographies de son archive personnel imprimées sur du tissu. Avec une approche brésilienne , il utilise la technique japonaise du «oshie», un patchwork matelassé de tissus de kimono. Ce rembourrage des tissus lui rappelle l’ambiance chaleureuse du salon familial à Sao Paulo. En contraste, sur certaines de ses pièces il brode des expressions homophobes et racistes auxquelles il a été confronté pendant son enfance et en tant qu’immigrant.
Pour 10 / 12 / 90 Shinji se sert de la photographie de son premier passeport. L’œuvre capture la difficile transition de l’adolescence dans un environnement conservateur où la sexualité ne pouvait pas être librement exprimée. This Coke is Fanta se compose de quatre couches superposées et interchangeables, ou se trouvent des photos qui offrent un aperçu intime de son parcours. L’expression «Ce Coca c’est du Fanta” est utilisée au Brésil comme une insulte homophobe. Suivant une composition typique des estampes japonaises de l’ukiyo-e, A Carpa e o Tucunaré tisse un récit métaphorique dans lequel un poisson amazonien, le tucunaré, engloutit un poisson oriental, la carpe. Une métaphore de l’absorption d’une culture par une autre, en référence au
mouvement anthropophage brésilien, un courant artistique moderniste qui célébrait l’idée de dévorer, assimiler et réinterpréter les influences étrangères pour créer quelque chose de véritablement brésilien.
Julie Laporte détourne les débris de supports photographiques. Basée sur le glanage des déchets de laboratoire, son approche questionne le devenir de la matière photographique. Son travail se trame en chambre noire, son quotidien depuis cinq ans, en détournant les restes et morceaux inutilisables. En récupérant ces chutes d’éléments argentiques, Julie compose des collages
et des volumes qu’elle épingle ou agence dans l’espace afin de révéler ce que l’on fait disparaître. La surface comme support d’une image devient un objet qui vit dans l’espace, et son dos est découvert. Grâce à des opérations lumineuses sur la surface sensible, elle nous montre les restes d’une photographie disparue, ultimes bribes de cibachrome sauvées de l’oubli.
Les pièces de Long live New flesh dessinent les reliefs et les courbes des espaces iridescents, faits d’échos et de reflets, comme d’indicibles chairs que la pression du regard infiltre. La malléabilité du médium argentique permet d’innombrables mutations de son support. L’altération et le dépérissement le transforment. Peaux après peaux, il mue, s’épuise et désagrège lentement les
couches qui le composent pour laisser advenir les turbulences intérieures qui l’animent.
Privilégiant la matérialité de la photographie plutôt que sa représentativité, ces peaux mutantes résistent à leur statut de rebuts. Faire peau neuve pour se reconstruire sur les ruines du sensible.
(1)
Lors d’un mois d’expositions et d’événements situés dans l’Est et le centre de Paris, la
Biennale de l’Image Tangible présente une sélection d’œuvres qui tendent à s’émanciper
d’un usage classique du médium photographique.
Que ce soit à la recherche de nouveaux supports, de techniques hybrides ou d’un nouveau
rapport à la réalité, cet événement tend à démontrer que la photographie ne cesse jamais
d’inventer. En cela, la Biennale de l’Image Tangible accompagne l’émergence de nouveaux
langages et de nouvelles pratiques liés à la photographie : une photographie qui bouscule
les hypothèses du réel, une photographie qui change de nature, de forme et de postulat, et
qui participe ainsi à un élargissement du champ de sa discipline.