SIP: Il y a beaucoup des passerelles entre la peinture et les sculptures que tu montres à Assemblage#9 Après fragments. Est-ce pour toi une pratique courante ?

OP: C’est le dessin qui fait inexorablement le lien entre tous les médiums. La recherche se fait à travers le dessin et les formes se lient en écho.

Quels sont les dessins qui ont donné lieu à ces pièces ?

Une série autour des cabanes, un travail sur l’équilibre. Déjà dans le travail de la ligne, les masses s’installent en équilibre pour créer des personnages, des situations vivantes. J’avais envie d’aller au -delà de la représentation de la figure et de développer des environnements. Je me suis inspiré de l’idée de ces cabanes que font les enfants en assemblant  des objets hétéroclites. Ce passage de la notion d’équilibre à l’idée d’entassement d’objets était pour moi le glissement de l’idée de personnage vers celle d’environnement. Je voulais concevoir les cabanes en deux dimensions, en opposition aux équilibres vivants qui composent les figures.

Pourquoi cette recherche de l’équilibre pour la construction de figures?

A partir du moment où il y a un équilibre, il y a l’idée d’un mouvement potentiel, donc de la vie. L’environnement pour moi n’est pas un personnage, il ne se définit pas par l’équilibre. Donc de l’équilibre je suis passé à l’amoncellement. Je différencie la cabane qui est un environnement amoncelé et plat, des équilibres qui sont des personnages. Pour les cabanes, j’ai voulu faire une peinture en deux dimensions.

Tu fais référence au système de représentation de la profondeur ?

A l’idée de faire un paysage non pas que l’on pénètre ou que l’on voit comme à travers une fenêtre mais que l’on lit comme un plan. Je voulais qu’une fois peints, les environnements en deux dimensions deviennent des espaces d’où émergent des personnages en construisant des équilibres. Mais une fois les environnements peints, il y avait toujours un espace, une profondeur, des volumes. Comme les amoncellements des cabanes avaient cette profondeur, ils sont devenus des équilibres, des méta-personnages, des bonhommes. Et j’ai accentué cette idée en rajoutant les deux anneaux pour faire un semblant de tête rigolote, un bonhomme.

J’ai une règle, celle du dur et du mou. Pour faire tenir les équilibres il faut des choses dures. Mais s’il y a trop de dureté, il manque la libido, c’est trop corseté. Les briques, les structures, les tiges sont de l’ordre du dur et permettent de construire les équilibres. Mais comme cette construction manque de libido, je me suis intéressé à la présence du corps à partir du mou. Les chaussettes ce sont des enveloppes de pieds mous, des pieds libidineux. Le manteau, c’est le fantôme désirant le corps. Le manteau en soi est aussi un personnage. Les anneaux sont comme des yeux étranges.

Je suis intéressé par le mobilier de Gaetano Pesce ou Ettore Sottsass, du mouvement Memphis. Je pense à une commode qu’il surmonte de deux petites lampes pour faire comme les yeux d’un personnage. Chez Memphis, les formes s’imbriquent dans un jeu assez enfantin par rapport à la figure.

Cette règle du mou et du dur se voit aussi dans tes sculptures ?

Les empreintes de doigt, de la banane et du hareng sont des formes molles, sans squelette, alors que tous les éléments qui proviennent du langage de l’architecture, la brique, la tuile font partie de l’aspect dur.

Il semble que les éléments avec lesquels tu construit existent d’abord en tant que tels dans ton idée et que tu les utilises comme si c’étaient des éléments d’un jeu de construction en les appliquant indistinctement à différents médiums comme la sculpture ou la peinture, de façon différente selon que tu veuilles construire un espace ou un personnage. Tu choisis tes personnages a priori ou ils surgissent devant toi en travaillant ?

Je démarre à partir des intuitions. En travaillant, les personnages apparaissent. Pour la sculpture de Nabila par exemple, j’ai commencé par la forme verte en bois, qui est le dur. Quand le besoin de mou est apparu, j’ai pensé aux cheveux en équilibre et aux seins. Puis j’ai continué à construire autour du fantasme de la starlette dans sa référence à la star. J’ai pensé en analogie à mon petit équilibre de contreplaqué et à la possibilité qu’il se construise lui-même. Qu’il se métamorphose ou se fantasme comme une sculpture de l’art majeur. Je me suis dirigé vers une espèce de portrait qui voudrait renouer avec la grande histoire, la modernité, le bronze, alors qu’il est le résultat d’un bricolage.

Pour dire ça tu as choisi une certaine sobriété de matériaux…

Pour comprendre comment les choses agissent les unes avec les autres, j’essaie de les épurer afin d’arriver à leur essence. Après, j’ai beaucoup de peine à les habiller avec de la couleur. Dans la sculpture en terre cuite certaines parties sont réalisées par empreintes d’objets. Cette prise d’empreinte laisse des tas de stigmates qui sont une mise à nu de l’action. Après je ne peux plus les re-habiller, les camoufler.

C’est le même cheminement pour la peinture: il y a tellement de choses qui passent dans l’intention, dans la façon dont elle se pose, qu’après je ne peux plus revenir en arrière. Je m’intéresse aux strates de ces actions. La nature des médiums que j’utilise donne à la matière un aspect d’une certaine brutalité que je choisis de laisser nue, vivante.

Quant tu as vu où tu te diriges, tu le reconnais comme une nécessité et tu sens tout autre action supplémentaire comme un habillage ?

Comme un déguisement de la forme.

En fait tu cherches à sentir que ce que tu as fait comme action, comme geste, est nécessaire à ce moment-là.

Je n’aurais pas pu faire la sculpture Nabila avec mon vocabulaire habituel. La fausseté de Nabila, les faux seins, la fausse star, la fausse histoire m’ont poussé à patiner le contreplaqué en faux bronze. Ca devenait nécessaire pour parler du sujet.

J’ai beaucoup aimé la confrontation avec le travail de Constanza, en faisant le montage de l’exposition, j’ai apprécié de sentir ces œuvres comme une phase dans un processus. Ne pas se trouver devant un état de fait mais dans un mouvement qui se recompose en permanence.  J’ai eu trop longtemps le sentiment que faire de la peinture c’était faire des objets. Naïvement, je pensais qu’une fois le travail arrêté, il fallait être satisfait de l’objet. J’ai déconstruit cette idée. Ce qui m’intéresse, c’est que la peinture devienne la trace d’étapes successives. Comme dans Le Petit Poucet, les objets sont la trace d’un cheminement. Aujourd’hui, c’est la dynamique qui me semble intéressante plutôt que l’aboutissement. Les choses peuvent se remanier, se ré-agencer tout le temps, comme le jeux du Tangram, et on perçoit les échos de ces changements.

Cet intérêt pour le dynamique, on le sent très bien dans le travail de Constanza Piaggio. Dans son installation, les images se composent les unes avec les autres. On sent que ça peut encore se faire différemment dans un autre temps.

Elle a beaucoup parlé du procédé qui lui permettait de ne pas trop penser à cet objet final mais de s’appuyer sur lui pour continuer à faire. Quel est ton moteur à toi dans tes recherches en peinture et sculpture ?

Le désir d’aller vers quelque chose qui se libère chaque fois un peu plus, qui se déverrouille. Je suis entré dans la peinture par une petite porte très étroite et corsetée. Par le travail de réduction, par la recherche du nécessaire, il y a quelque chose qui s’ouvre. Peut-être que ma production va continuer à couler en dehors du cadre et ses éléments à se mettre en dialogue. Je fantasme un petit monde avec des créatures qui fonctionnent de façon autonome et des espaces en deux et trois dimensions. Je commence à expliciter une articulation complexe et ludique du monde extérieur avec ce petit monde que j’arrive à faire fonctionner.

Voici les photos de l’exposition Assemblage #9: http://spaceinprogress.com/works/assemblage-9-apres-fragments/