Assemblage #5
Indélébile
Ici, quelque chose de caché se révèle à nos yeux. Cependant dès qu’une révélation se produit, elle présuppose que la dissimulation n’est pas complète. Il y a donc une volonté de délivrer les choses de ce qui les dissimule.
Les peintures de Gérard Quiles sont souvent en apparence monochromatiques et sans sujet. Un premier dessin devient évanescent après des actes successifs de recouvrement ou d’estompage. Une attention particulière est alors nécessaire au spectateur pour qu’il prenne conscience du sujet. En modifiant sa perception, chacun produit un mouvement de prise de contact avec l’image cachée et devient l’auteur de cette révélation, proche de l’épiphanie.
Maria Ibanez Lago choisit des supports qui ne permettent pas la vue intégrale de l’image. Appartenant aux objets, une partie de l’image est pressentie mais pas montrée. Elle reste cachée dans les plis du textile ou dans les circonvolutions du coquillage. Usuellement, un rideau dérobe à la vue le paysage ou l’histoire qui se déroule dans son dos, faisant référence obligée au tableau comme une fenêtre ouverte sur le monde. Mais ici il devient support de l’image. Le rideau est alors le décor d’une scène qui se déploie devant lui mais pas devant nous.
On peut s’interroger sur ce que l’on cherche ici à dissimuler et qui réapparait.
Gérard Quiles aborde de façon poétique des sujets de société, environnementaux, ou philosophiques, à partir de sujets de l’histoire de l’art tels que la nature morte ou les vanités. Le bucrane (crâne de bœuf) a été utilisé comme ornement depuis l’antiquité évoquant les victimes sacrificielles et repris à la Renaissance. Ici, le symbole peut être extrapolé et peut évoquer des problématiques plus contemporaines d’éthique ou de société (rapport au travail, à l’argent). Dans le triptyque Sans titre (bucrane), l’image est soumise à des manipulations qui masquent encore sa présence : elle est compartimentée, répartie dans chaque panneau, et représentée en anamorphose.
Maria Ibanez Lago propose des objets où la peinture s’invite comme un intrus, en surimpression. Un coquillage est sensé garder en lui le son de la mer et le révéler à celui qui en approche l’oreille. Mais ce sont les traces sonores de la prospection sismique qui sont apparents. Les titres de ces pièces font référence à l’exploitation des énergies fossiles. Ce qui veut se donner à voir et ce qui reste caché est de l’ordre du politique. Il surgit de l’incommodité d’un discours officiel qui ne tient pas compte des réalités évidentes.
Malgré les différents artifices pour dérober et occulter, la trace mnésique de l’image reste imprimée. Comme dans l’analogie connue entre la mémoire et l’ardoise magique, elle se fraye un chemin détourné vers la perception éveillée.
Space in Progress, Avril 2017