Proustien et dans le déni, Shamanic nouveau  est une œuvre conjointe. Cette installation trouve son origine dans un dialogue entre Liv Schulman et Andrés Aizcovich, maintenu à distance par le canal de whatsapp depuis 2015, Liv vivant en France et Andrés à Buenos Aires.

Tous deux alimentent ainsi une longue conversation dans laquelle ils commentent leur état quotidien en formulant des questions-réponses en forme de binômes d’adjectifs. L’un demande : “Comment te sens-tu aujourd’hui, protocolaire et presbytérien ou proustien et dans le déni?” L’autre répond selon ce même principe.

Ainsi se compose une avalanche de termes associés deux par deux. Chaque association nouvelle de mots crée un nouveau concept inédit. Chaque mot donne de la puissance à l’autre. Ce jeu a donné lieu à une longue liste, avec laquelle ils ressentent l’envie de composer un livre.

Ici, ils ont choisi de travailler sur l’oralité en introduisant dans l’œuvre, la temporalité du parler en face à face. La création de personnages parlants s’est naturellement imposée à eux afin de matérialiser ce dialogue. Les personnages empruntent le dispositif du ventriloque. Un pantin parle grâce à leur voix. C’est une version transformée d’eux mêmes qui est habitée par leur vrai dialogue. L’interphase électronique remplace le savoir-faire du ventriloque. Dans ce talk show, installé dans une espèce de set de tournage, les personnages reproduisent les textes surgis de la conversation par binômes installée entre les deux artistes. Ils expriment de façon orale le ridicule de la condition humaine, les équivalences émotionnelles, les états d’auto-humiliation. Par ce jeu, les auteurs se dupliquent en personnages qui pourraient, à leur tour, avoir un pantin à échelle réduite à qui donner leur voix. Un casse-tête chinois….

Ce n’est pas la première fois que Liv et Andrés se confrontent aux mots. Tous deux sont au comité de rédaction de «El flasherito», un fanzine grand format à la parution régulière écrit par des artistes (ils aiment dire que c’est le seul journal papier de ce format existant encore aujourd’hui en Argentine). Liv fait des films scénarisés avec des longs dialogues et monologues. Ses personnages, dans un essai teinté d’absurdité, explorent des concepts en rapport avec le contrôle et le pouvoir. Ils empruntent des méthodes et des termes à la psycho-analyse et au discours philosophique. Liv a publié deux livres tirés des dialogues de ses films : «El camino del control» y «El metodo Kovensky». Andrés travaille sur les différentes formes de la communication, à travers des dispositifs qui deviennent parfois le support de performances collaboratives.

Dans les spectacles de ventriloque, la voix déformée du pantin permet de dire des choses impossibles à dire avec la voix normale de son manipulateur. Le shamanisme se sert aussi de voix transformées, d’un corps animé par un autre esprit, afin d’exprimer des choses qui sont de l’ordre d’une autre réalité.

Liv et Andrés nous invitent à écouter en tant que spectateur des concepts autres. Ils doivent nécessairement être dits a partir d’un intermédiaire qui se présente dans sa «bizarrerie» (dans la signification d’étrange, de surprenant) mais qui se révèle être apte a exprimer ce dont on a besoin pour appréhender le monde différemment.

SIP, mars 2019