Ces trois artistes,  habitués des médias électroniques et des nouvelles technologies de création 3D, nous proposent une exploration des différents formats de la narration par l’image, du ruban au codex, en revenant aux sources du dessin comme outil analogique et comme premier révélateur de l’idée. Ils plongent parfois dans le dessin pour créer les potentiels story-boards de prochains films. Le dessin génère un système narratif à part entière qui est parfois préparatoire à un  récit dans un autre médium.

Bertrand Dezoteux dans «Monde de merde» a choisi de raconter une histoire par le biais d’une série d’aquarelles légendées qui se succèdent comme des petites scènes ou des épisodes. L’histoire se construit à partir d’une prémisse : un monde qui serait submergé par les déjections. Sont ainsi créés un temps et un lieu où le «caca» serait une valeur positive, un projet politique, un bien commun, une source d’énergie, un repère qui redessinerait nos hiérarchies et nos normes. L’artiste développe ce fil narratif pour imaginer ce monde et sa logique, la société, la culture et l’art qu’il induirait. Son travail interpelle notre imaginaire du futur. A la manière de la BD de science fiction, il développe une réalité suggérée partant d’une supposition absurde pleine d’ironie. En faisant un parallèle entre son travail et celui de Jean-Christophe Averty, il énumère avec lucidité,quelques unes des caractéristiques communes de leur travail : «le refus du réalisme et de la psychologie, l’envie de concrétiser des images mentales par l’usage du collage de diverses références visuelles, sous l’influence du surréalisme, l’utilisation d’images comme éléments de construction, l’enracinement de nos travaux dans la bande dessinée et les films primitifs, la capacité à faire délirer le folklore et la culture française».

Stanislas Paruzel travaille, parallèlement à sa pratique de la vidéo, dans un groupe d’amis anciens étudiants de la Villa Arson. Ils se réunissent autour de la pratique du dessin sous le nom de Nuevos Boloss. Avec eux, il a commencé une série de petites bandes dessinées en 3D, des histoires fantasmées de moments vécus à Paris. «Le Rouleau Goyokin» est un rouleau en latex où sont incrustées des images de ses bandes dessinées qui ne suivent pas un déroulement linéaire. Le rouleau inclut les moments clef du récit. Les histoires sont liées à l’appétit, la nourriture ou la gourmandise. Les fictions de Stanislas Paruzel croisent des éléments mythologiques et différents modes de représentation. Il navigue d’une manière souple, joueuse, humoristique à travers toutes sortes de récits et de cultures. Dans sa vidéo «Landsome Igor», Igor le squelette, seul dans le désert, a tendance à s’ennuyer. Igor aime bien la country alors il chante «Trouble is a lonesome town» composé par Lee Hazlewood.

Les «Désordres pluriels», de Yanieb Fabre, sont des carnets en accordéon dessinés des deux côtés. Malgré les plis du papier, la continuité du dessin évoque le récit de l’image en mouvement. Dans cette suite, Yanieb matérialise les obsessions (jusqu’au délire) des actes quotidiens. Le dessin lui permet d’illustrer par une écriture radicale une évolution de pensées, un va et vient d’idées, une force irrationnelle et absurde. Le dessin constitue pour Yanieb la calligraphie du délire, une sorte de tissu qui lui permet l’accès à l’inconscient. Dans les deux faces du carnet affleurent des personnages, des paysages, des cosmogonies, des références sexuelles et une imagerie personnelle aux inspirations mexicaines. Certains de ses dessins serviront comme story-boards préalables à la réalisation de films autour du concept du «nahual».

Pour chacun de ces trois artistes,  les dessins sont les premières briques de la construction d’un monde conçu à partir d’un parti pris absurde ou surréel dans lequel s’imbriquent des systèmes de fonctionnement autonomes et indépendants les uns des autres.

SIP, avril 2019